Clara Nebinger

Autrice : Fanny Hugot-Conte

 

À l’heure où le défilement a conditionné notre vision, où l’on parcoure nos souvenirs d’un glissement de doigts. Dans une époque où l’on s’attache à immortaliser chaque instant plutôt que le vivre pleinement. Alors que nos paysages se font et se défont dans un mouvement perpétuel, Clara prend le temps de s’interroger : que reste-t-il ?

« "Je t'aime de loin" dit cette affiche. J'ai pensé que c'était beau d'aimer de loin, aimer sans voir. Le sujet a disparu, mais les émotions restent. »¹

Clara Nebinger au travail sur sa fresque murale "Pensive bleue" à la Galerie de la SCEP pour l'exposition "Les tomates fleurissent aussi en hiver"
2022
©clara nebinger

Si Clara choisi l’écran comme intermédiaire privilégié de sa vision, ce n’est pas tant pour reproduire la réalité que pour figer le souvenir d’un instant d’ores et déjà envolé. Une fois dans son atelier, face à la toile vierge, la photographie importe peu, car ce qui compte pour elle c’est de retrouver les raisons qui l’ont poussée à prendre ce cliché. Appelée et nourrie par la matière, l’artiste recompose sur la toile ce qui l’a séduite. Le reflet du ciel dans une flaque d’eau, la ligne d’une crête, les ombres des nuages sur une colline. Dans un dépouillement nécessaire, elle tente de traduire l’essence de chaque chose.

« Pensée picturale n°1 : Superpositions d’impressions. La peinture se développe en avant de l’image. Que reste-t-il alors de la représentation ? »²

Peinture embarquée, série 2
2021
©charlène carmona

Les gouttelettes projetées par le rouleau, la coulure traversant l’aplat coloré, la présence de la toile brute, sont autant de manifestations discrètes de l’instant où la peinture échappe à l’artiste. Pourtant, c’est aussi bien dans les doutes, les gestes manqués, les non finito que dans les prises de position et les préméditations que la peinture de Clara trouve sa justesse. À mesure que certains éléments se diluent, d’autres se cristallisent. L’équilibre entre le rapport référentiel au sujet et l’autonomie de la peinture, témoigne alors d’une forme d’indétermination dans son œuvre. Une indétermination réfléchie et assumée.

« Pensée picturale n°2 : Ces soustractions et ces additions de strates colorées sont les substrats d’une pensée de l’espace. »³

Troquant l’horizontalité conventionnelle pour une verticalité plus contemporaine, les paysages en seize-neuvième de Clara n’ont de cesse d’échapper au cadre. Car ce qui importe, c’est de donner le sentiment d’espace ; aussi bien dans la plus petite des toiles que sur la surface d’un mur. Ainsi la marge devient l’espace privilégié de l’expression d’une étendue paysagère que l’on ne peut embrasser que dans le dépassement du cadre. Nous pourrions nous interroger sur les raisons qui poussent une artiste de la surface à vouloir s’en échapper ? On avancera que c’est pour mieux percevoir ce qui se joue dans le tableau : l’image rémanente d’un paysage fugitif.

Clara Nebinger dans son atelier, Marseille
2021
©clara nebinger


1. Réflexions que l’artiste consigne dans ses publications Instagram.

2. Ibid.

3. Ibid.

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